Demain
Bonjour à tous.
Je profite des vacances pour revenir sur la bloggosphère.
Le texte que je poste ici est un peu long, je le sais. C'est le début d'un texte beaucoup plus long encore. Pour ceux et celle qui ont le courage de le lire, je voudrais savoir si vous trouvez ce début cohérent. Et quels ont les paragraphes que je dois reprendre ? Bref, toutes vos critiques constructives sont bonnes à prendre.
Fin octobre 1995
La maison…
Je vais avoir tant de mal à vivre ailleurs. Je suis assise sur les marches qui vont de la cuisine au jardin. J’écoute les bruits de la nuit. Je m’apaise à la fraicheur de l’herbe, des arbres, des fleurs. Je ne m’apaise pas seulement, je me berce, je me sens enveloppée par la nature.
Un train passe. Je l'entends, au loin. Un bruit étouffé. Il va vers Paris. Ou il en revient. Saint-Lazare est à 10 minutes seulement.
Je regarde la lune et les choses me semblent immuables. Comme si rien ne pouvait changer. Comme si la décision de Pierre était du vent. Juste une idée comme ça, qui est passée, qui s'est envolée, qu'il a oubliée.
Peut-être que si d'ailleurs. Peut-être qu'il a oublié. Cela fait un mois qu'il m'a dit qu'il voulait vendre la maison, partir vivre ailleurs, qu'il nous quittait, moi et les filles. Plus de vie de famille. Ca l'oppressait. Il m'a repproché de ne pas faire d'effort, de ne pas être assez féminine, de n'être plus qu'une mère de famille. Il a même utilisé le mot « bobonne ». Peut-être a- t-il raison. Je ne sais pas. On ne se voit pas comme les autres nous voient. Il m'a dit qu'il n'était pas le seul à le penser. Que tout le monde pensait la même chose. Je n'ai rien osé répondre. J'étais trop vexée. Les jours d'après j'étais en colère, je ne sais pas contre qui. Contre moi même ou contre ces autres qui parlaient de moi en ces termes.
Bobonne. Là, devant la lune, au milieu des odeurs de la nuit, je ne sais pas où est la vérité, je ne sais pas qui je suis. Je sais seulement que Pierre veut partir, qu'il partira un jour, bientôt, et que tout s'effondrera ce jour là.
Je suis assise sur les marches qui vont de la cuisine au jardin et je ferme les yeux.
Quand je les ouvre, je suis nue, dans un lit, dans une chambre. La housse de couette est blanche avec des petits ronds gris-bleu, comme des petites perles. En face, il y a une affiche. Rouge, une danseuse au milieu, un titre en haut. Le saut de l'ange. La même affiche qui était dans ma chambre lorsque j'étais étudiante.
A côté de moi, un homme, cheveux noirs, peau brune. Métis. Nu lui aussi. Il semble avoir passé quarante ans. Ses tempes sont grisonnantes. Il me regarde. Il dit :
- C'est beau un corps de femme.
- Un corps d'homme aussi.
- Pas comme celui une femme … Il y a du relief … on dirait un paysage … comme dans la chanson de Johnny.
Je regarde mon corps, mes hanches, mes seins.
Je demande à l'homme :
- Ca t'a fait quoi quand il est mort ?
- Tu parles de qui ? De Johnny ?
- Oui.
Je regarde l'homme. Et là, j'ai un voile noir devant les yeux.
Je me retrouve assise devant la lune, sur les marches de la cuisine. J'ai une insupportable impression d'étrangeté. Je la ressens dans tout le corps. Je me sens comme tétanisée. Pendant plusieurs secondes, je ne sais plus qui je suis. J'ai envie de crier mais rien ne sort de ma gorge. Et puis, petit à petit, je reviens à moi. Je touche mes bras. Même à travers le tissus, je sens que ma peau est là. Je touche mon visage, mes joues. Dans la pénombre, je regarde le cerisier du jardin. Je ne vois pas la couleur des feuilles mais je sais qu'elles commencent à jaunir. Je suis là, chez moi. Encore chez moi pour quelques temps. Je respire. Ca va mieux. Je m'interroge alors. C'était quoi ce rêve éveillé ? Ce n'est pas la première fois que je m'imagine des histoires. Mais là, c'était différent. Je ne contrôlais rien.
Je reste assise à regarder la lune. Je cherche des réponses, je cherche à rationnaliser, je cherche à faire des liens. Je pense à Christelle. Cette après-midi, à la cantine, elle a parlé d'un concert de Johnny Halliday. Elle est fan. Je l'aime bien Christelle, mais je l'ai trouvée un peu ridicule à ce moment là.
Le lien avec le chanteur, je l'ai. Mais pouquoi l'ai-je fait mourir ? Et pourquoi ai-je revu cette affiche qui était dans ma chambre d'étudiante ? Et le lien avec l'homme, le métis ? Je ne le connais pas. Je ne l'ai jamais vu. Et puis il était vieux, plus vieux que moi. Ca ne m'intéresse pas les hommes plus vieux que moi. Pierre et moi avons juste un an d'écart. Pierre …. Pierre … pourquoi veux-tu partir ? On a tout pour être heureux. Deux jolies petites filles qui grandissent harmonieusement. Ca été difficile quand elles sont nées. Forcément, deux jumelles. Mais maintenant... regarde … tout est bien … on a une belle maison … des amis … une famille … on part en vacances … on a un travail … enfin, pour moi ce sera pour bientôt … l'année prochaine … je sais … tu ne penses pas que c'est un vrai travail … tu m'as dit que c'était un passe-temps … C'est ça le problème ? Tu m'en veux de ma reconversion ? Instit', je sais que ça ne te plait pas … le salaire est faible … « Si ça peux te rendre heureuse » as-tu dit … tu le dis à tout le monde « si ça peut la rendre heureuse » … mais c'est important pour moi tu sais … je … je … je …
Je regarde la lune. Dans mon monologue, je ne sais plus quoi dire à Pierre. Je soupire. Je repense à l'homme, au métis. Je repense à nos deux corps l'un à côté de l'autre. Maintenant que la phase d'incompréhension est passée, la phase de stupeur même, je peux me revoir à côté de lui. Je peux me revoir pendant le rêve éveillé. Je peux de nouveau ressentir ce que j'ai ressenti à ce moment là. J'étais bien en fait. Formidablement bien. Et si je refermais les yeux ?
Mes paupières sont closes et rien ne se passe. Je me souviens d'un rêve lorsque j'étais enfant. Quelqu'un m'offrait du chewing-gum dans un supermarché. C'était une chose rare, mes parents ne voulaient pas que j'en mâche. J'ai pris le chewing-gum. Je l'ai bien serré dans ma main avec l'idée qu'il serait encore là dans la vraie vie. Je crois même que ce rêve m'a réveillée, juste à ce moment là. Et je me souviens encore de ma déception.